Vers un nouvel équilibre macroéconomique – Le Monde

Trouver un nouvel équilibre entre salaire, protection sociale et fiscalité, c’est l’objectif que doit poursuivre notre politique économique. Un équilibre qui ne peut être atteint sans une répartition plus équitable entre les salaires modestes et les salaires les plus élevés.

Le débat économique de notre pays est d’une faiblesse abyssale, chacun en conviendra. Et pourtant, les occasions n’ont pas manqué : les élections européennes, législatives et aujourd’hui les débats autour d’un nouveau gouvernement .

Les propositions des uns et des autres ne doivent pas être écartées d’un revers de main. La question de la faiblesse des salaires modestes est fondamentale, mais, pour ceux qui la préconisent, il est exclusivement question de demande, sans s’interroger un instant sur les capacités de répondre à cette demande, sans être conscient de l’importance des importations dans la consommation des biens. De l’autre côté, on se réjouit d’une politique de l’offre, de l’évidente attractivité retrouvée , de l’importance des créations d’emplois des dernières années, sans s’intéresser au pouvoir d’achat et à l’impact de l’inflation post-Covid. Or, l’équilibre d’une croissance stable et significative ne peut se faire qu’à travers un équilibre très particulier entre l’offre et la demande.

De plus, il nous faut investir massivement pour retrouver une véritable trajectoire de gains de productivité. Tout cela est bien connu, mais, semble-t-il, sauf par nos décideurs politiques.

Répartition

Puissent-ils se replonger dans la lecture de celui qui fut l’un des plus grands économistes du XXe siècle, Nicholas Kaldor , économiste anglais, conseiller de gouvernements travaillistes. C’est lui qui a le mieux conceptualisé cette relation si fondamentale entre l’offre et la demande et a conclu que la répartition entre profits et salaires est le paramètre majeur pour une croissance durable.

Ceci n’est pas une simple vue théorique puisque la première approche d’une répartition souhaitable fut celle de Henry Ford avec son « five dollars a day », « mes ouvriers sont mes clients », et puis de nos jours cette proposition si novatrice du « salaire décent » de Florent Menegaux , président du Groupe Michelin.

Pour notre part, de cette répartition souhaitable, nous avons dégagé une loi d’un tiers pour les profits, de deux tiers pour les salaires en étudiant 17 économies avancées. Et la France dans tout cela ? Notre répartition est apparemment parfaite en moyenne depuis plus de vingt ans. Mais nettement plus de profit pour les grandes entreprises et moins pour les ETI et PME . On voit donc bien là que c’est sur ces dernières que toute politique économique doit mettre l’accent dans la mesure où ce sont elles qui créent des emplois.

Nouvel équilibre des salaires

Bien entendu, la réalité statistique est très compliquée, car une partie, certes très minoritaire mais importante, des salariés bénéficie de hauts revenus ou se cumule des salaires très élevés , des bonus très importants, mais également des stock-options ou actions gratuites dans des conditions très exceptionnelles ; il suffit de songer par exemple aux rémunérations de la finance pour s’en convaincre. Il est légitime de considérer ces très hauts revenus comme relevant du profit et de la rente, car stimulant l’épargne et les achats d’actifs, au détriment de la consommation. On peut penser que les 0,5 % des hauts revenus salariaux déplacent la répartition de 2 à 3 % en faveur du profit, ce qui rompt nettement l’équilibre souhaitable.

Il est clair que l’existence de ces très hauts revenus, comparée à la faiblesse des petits salaires, n’est pas soutenable à terme. C’est là l’objet fondamental de la politique économique d’aujourd’hui : trouver un nouvel équilibre entre salaire, protection sociale et fiscalité. Il n’est pas possible de traiter l’un sans évoquer les deux autres.

Il est légitime de réfléchir aux augmentations des salaires les plus modestes mais également de s’interroger sur l’évolution du fonctionnement du marché du travail et d’orienter la fiscalité afin de favoriser les importants investissements à venir et ainsi de renouer avec un capitalisme vertueux. Ce nouvel équilibre macroéconomique en faveur d’une croissance forte et stable nécessite d’ajuster tous les paramètres de manière que justice et efficacité soient au rendez-vous.

Jean-Hervé Lorenzi est président des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence.

Alain Villemeur est directeur scientifique de la chaire « Transitions démographiques, transitions économiques ».

Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur

 

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