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Réforme des retraites : « Le véritable défi consiste surtout à augmenter le taux d’emploi des seniors » – Le Monde
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Le 16 janvier 2023 par Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur
Dans une tribune au « Monde », les deux économistes Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur appellent à un renforcement des mesures systémiques de la réforme, que ce soit sur la pénibilité, la prise en compte des carrières longues ou le cumul emploi-retraite.
Ça y est, le suspense est levé. La réforme présentée par Elisabeth Borne est plus intéressante qu’une simple réforme paramétrique sur l’âge légal de départ à la retraite, mais elle n’est pas pour autant une véritable réforme systémique. Elle intègre des éléments intéressants, bien au-delà des mesures d’âge, mais il reste du chemin à faire !
Les économistes ont l’habitude de distinguer les réformes paramétriques – par exemple la modification de l’âge légal de départ à la retraite – des réformes systémiques – c’est-à-dire des modifications des règles du système, par exemple le calcul par points, comme le gouvernement l’avait envisagé en 2019. C’est vrai que l’ambition était, à l’époque, démesurée.
Dans la proposition qui va être maintenant débattue au Parlement, il y a bien des mesures paramétriques, comme le report de l’âge légal de départ à la retraite à 63 ans et 3 mois en 2027 et à 64 ans en 2030, ainsi que l’accélération de la réforme Touraine sur le nombre d’annuités nécessaires à l’acquisition d’une retraite à taux plein (quarante-trois). Rappelons que l’âge moyen de départ à la retraite est actuellement de 62,9 ans pour le régime général. En fait, ces mesures d’âge, étalées dans le temps, ne bouleverseront pas fondamentalement la situation actuelle.
Caractère social
Surtout, cette réforme ne possède pas suffisamment d’éléments systémiques, sur la retraite minimum, sur la pénibilité et sur la prise en compte des carrières longues. Une réforme des retraites réussie, nous en sommes convaincus, doit avoir un caractère social, car son acceptabilité est en fait conditionnée par de nombreux déterminants de nature sociologique et économique, au-delà de l’équation financière.
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Heureusement, rien n’est encore perdu, car, d’une part, un débat parlementaire aura lieu, et, d’autre part, il est possible de redonner au projet une véritable ambition.
Par rapport aux autres pays européens, le vrai problème ne porte pas sur l’âge de départ réel à la retraite, mais sur le taux d’emploi, nous l’avons souligné depuis plusieurs mois. Rappelons l’incroyable faiblesse du taux d’emploi des seniors de 55 à 64 ans en France, 56 %, soit l’un des plus faibles d’Europe comparé à l’Allemagne (71 %) ou à la Suède (77 %). Si nous avions ce taux suédois, il y aurait environ 1,6 million de seniors de plus en emploi dans les entreprises et les administrations françaises pour créer des richesses supplémentaires, payer des impôts et des cotisations retraite, ce qui redonnerait de l’optimisme pour faire face aux nombreux défis qui assaillent notre pays.
Au-delà des déficits annoncés par le Conseil d’orientation des retraites, de l’ordre d’environ 13 milliards d’euros en 2030, il ne faut pas oublier le besoin de financement de l’Etat employeur pour payer les pensions des fonctionnaires et agents de l’Etat, de l’ordre de 30 milliards d’euros. Ce besoin de financement est trop souvent occulté, voire nié ! Nos travaux ont montré qu’une augmentation d’ici à 2032 du taux d’emploi des seniors de 56 % à 66 %, encore très loin des meilleurs pays européens, permettrait de combler les déficits prévus.
Mieux former
On voit donc que le véritable défi auquel nous sommes confrontés consiste surtout à augmenter le taux d’emploi des seniors. C’est la raison pour laquelle le Medef et la CPME [Confédération des petites et moyennes entreprises] devraient être en première ligne pour proposer de lutter contre la fâcheuse tendance des entreprises à se débarrasser progressivement des plus de 55 ans. La réforme doit inciter à beaucoup mieux former les seniors, le taux de formation après 50 ans étant scandaleusement faible dans les entreprises. Il faut doubler ces dépenses pour se mettre au niveau d’un pays exemplaire en la matière comme la Suède.
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Mais il faut aussi imaginer d’autres formules de passage à la retraite, par exemple revoir tous les dispositifs de cumul emploi-retraite et de retraite progressive, et les rendre beaucoup plus attractifs. Pour la retraite progressive, il faut être bien plus ambitieux, en allant au-delà de son extension à la fonction publique. Il convient d’intéresser les entreprises à sa mise en œuvre, qui ne concerne annuellement que 23 000 personnes, en maintenant l’âge de 60 ans à partir duquel un salarié peut réduire son temps de travail, et en diminuant les cotisations sociales des entreprises vertueuses. Tous les dispositifs autorisant le cumul d’un emploi et d’une retraite doivent être simplifiés et rendus plus flexibles et plus interchangeables. En même temps, le système de surcote doit être rendu financièrement plus intéressant.
Si l’on veut plus de justice sociale, la réforme doit inciter à l’amélioration des conditions de travail et à la prise en compte plus large des critères de pénibilité, en réintégrant sous une forme adaptée tous les critères supprimés. N’oublions pas en effet que la hausse de l’âge de départ à la retraite va surtout frapper les ouvriers et les employés ayant commencé tôt leur carrière. Les propositions gouvernementales sont un vrai pas en avant, mais elles méritent d’être précisées et complétées.
Equité intergénérationnelle
La solidarité envers les plus modestes va se traduire par un relèvement des pensions pour les nouveaux retraités ayant fait des carrières complètes au smic. Il faut que les 1 200 euros envisagés s’appliquent également à ceux qui ont déjà pris leur retraite, au nom de l’équité intergénérationnelle.
Enfin, la capitalisation n’est pas un diable. Il y a une vingtaine d’années avait été créé le Fonds de réserve pour les retraites, qui était en fait un fonds de pension collectif. C’était une très bonne idée, qui a perdu de sa substance au fur et à mesure que les gouvernements se sont approprié ses gains. Il faut redonner vie à cet instrument précieux tout en stimulant les plans d’épargne-retraite qui aujourd’hui ne représentent qu’un montant global de 300 milliards d’euros, ce qui est bien peu.
N’oublions pas que la réforme systémique abandonnée en mars 2020 avait pour objectif d’unifier les systèmes de retraite, pour ne pas continuer à pénaliser ceux ou celles, jeunes ou moins jeunes, qui ont suivi des carrières multirégimes ou hachées. C’est en cela qu’une réforme systémique qui créerait les conditions d’un rapprochement de tous les régimes – salariés, fonctionnaires et régimes spéciaux – nous paraît toujours justifiée.
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