Les 7 piliers d’une réforme réussie des retraites

 par Jean-Hervé Lorenzi, Alain Villemeur et Kevin Genna

La Chaire TDTE travaille depuis de nombreuses années sur le système des retraites, en s’appuyant sur des modélisations macroéconomiques. Elle est convaincue de la possibilité de trouver un accord sur la future réforme des retraites dans le cadre des négociations actuelles.
Pour nous, toute réforme doit reposer sur l’acceptation du choc démographique, d’un allongement juste et progressif de la durée de vie active, de la prise en compte réelle des carrières longues et de la pénibilité, de l’amélioration des petites retraites, mais aussi sur la mise en œuvre d’un fonds de capitalisation collectif.
Le déséquilibre du système de retraites est, dans les conditions réglementaires actuelles, de 13 Mds€ en 2030. Nous affirmons que l’on peut rétablir l’équilibre dans le cadre d’un système des retraites beaucoup plus juste, en se basant sur les 7 piliers suivants.

 

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  1. Abandonner l’âge légal au bénéfice des annuités

Nous préconisons l’abandon de l’âge légal de départ à la retraite et la priorité désormais donnée aux annuités pour rétablir l’équilibre financier dès 2030. L’âge moyen de départ à la retraite est déjà supérieur à 63 ans dans le secteur privé et, suite à la réforme de 2023, les annuités requises continueront à augmenter pour atteindre 43 annuités en 2027 pour le taux plein. Pour cette période de transition, l’âge minimal de 62 ans sera maintenu, sauf dispositions particulières, par exemple pour les carrières longues.

 

 2. Augmenter progressivement les annuités requises jusqu’à 44 en 2035

Nous préconisons de maintenir les 43 annuités requises en 2027 et ensuite de les augmenter pour atteindre 43,5 annuités en 2030 et 44 annuités en 2035. Le système de décote et de surcote doit évoluer pour davantage inciter les seniors à allonger leurs activités, vraisemblablement en multipliant par deux la décote et la surcote.

Toutes ces mesures devraient induire en 2030 un décalage du départ effectif à la retraite pour environ 350 000 personnes âgées de 55 à 64 ans, ce qui générera la création de richesses supplémentaires et des économies sur le versement des pensions. D’où, une recette supplémentaire de 10,8 Mds€ prévue en 2030 pour le système de retraites.

 

3. Maintenir les dispositifs de carrières longues et intégrer tous les critères de pénibilité

Il convient de maintenir les dispositifs de carrières longues autorisant les départs avant l’âge minimum de 62 ou 63 ans, dans certaines conditions.

Il convient de réintroduire, sous une manière adaptée, les 4 critères de pénibilité écartés dans la réforme précédente : manutention de charges, postures pénibles, expositions aux vibrations, exposition aux agents chimiques. Le nombre de personnes concernées devrait augmenter de manière significative mais le surcout devrait être limité à environ 1 Mds€ en 2030.

 

4. Mettre à contribution les retraités les plus aisés

 Il nous parait légitime de mettre à contribution les retraités les plus aisés. En effet, l’effort pour équilibrer financièrement le système de retraite ne peut reposer uniquement sur les actifs ; les retraités les plus aisés ont généralement bénéficié de pensions bien supérieures au taux de récupération des cotisations, ont un niveau de vie supérieur en moyenne à celui des actifs, sont à 78% propriétaires de leur logement et ont un patrimoine plus important.

En première analyse et pour fixer les idées, nous définirons les retraités « aisés » comme ceux qui ont une pension mensuelle net supérieure à 3000 € et qui sont propriétaires de leur logement, soit environ 20% des retraités concernés. Nous préconisons de supprimer l’abattement pour frais professionnel de 10% pour les retraités « aisés ». Les recettes générées par une telle mesure devraient être de l’ordre de 2,5 Mds€.

 

5. Augmenter les taux d’emploi des seniors en difficulté

 Trop de seniors 55-64 ans sont inactifs (ni en emploi, ni au chômage, ni en retraite) avant l’âge de départ à la retraite, sans avoir heureusement de problème de santé ou d’handicap, soit environ 600 000 personnes. En plus, environ 450 000 personnes sont au chômage à cet âge.

Nous préconisons des mesures de retour à l’emploi pour réintégrer au marché du travail en 2030 environ 300 000 personnes, soit 150 000 personnes pour chacune des deux catégories. Ceci permet de générer environ 3,5 Mds€ de cotisations supplémentaires, tandis qu’environ 2 Mds€ d’indemnités de chômage pourraient être économisées. Bien sûr, un effort de formation et d’amélioration des conditions de travail dans les entreprises est requis.

 

6. Résoudre le problème des petites retraites et des carrières hachées 

L’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), accordée aux retraités ayant de faibles ressources, a été augmentée ces dernières années, mais elle est réservée aux personnes de plus de 65 ans, sauf en cas d’invalidité. Il est préconisé d’abaisser l’âge minimum d’obtention de l’ASPA :

  • à 60 ans pour les personnes avec 38 annuités ou plus, et pour les personnes aux carrières longues ;
  • à 62 ans pour celles avec 35 annuités ou plus.

Le non-recours à cette allocation, très important, pourrait être réduit en modulant le seuil de récupération sur patrimoine. Le coût de ces mesures est estimé à environ 2 Mds€ en 2030.

Pour les femmes pénalisées dans leurs carrières par la naissance et l’éducation d’enfants, par des emplois à temps partiel, et n’ayant pas les annuités requises à 60 ans, il est préconisé de leur permettre de bénéficier de l’Aspa.

 

7. Relancer le Fonds de Réserve pour les Retraites

Le niveau de vie des futurs retraités va baisser dans les prochaines décennies par rapport à celui des actifs, même si le pouvoir d’achat des retraités est globalement maintenu. De plus, les jeunes générations, perdant confiance dans le système par répartition, sont favorables à une épargne individuelle afin de se procurer de futurs revenus.

De plus, a été créé en 2021 le Fonds de Reserve des Retraites (FRR), un établissement public, pour investir au nom de la collectivité les sommes confiées par les pouvoirs publics afin de participer au financement des retraites. Sur une longue durée, il a démontré une réelle capacité à obtenir de bons rendements sur les actifs confiés. En étant géré à long terme, il détient une part importante d’actions, dont le rendement est supérieur à celui du PIB français, sur la croissance duquel le système par répartition est implicitement indexé. Il dispose actuellement d’actifs d’environ 20 Mds€.

Il est préconisé de le transformer en fonds de capitalisation collectif avec notamment deux missions :

  • délivrer aux adhérents une pension supplémentaire visant à améliorer le niveau de vie des retraités qui font un effort supplémentaire d’épargne
  • investir dans les entreprises, notamment françaises, pour favoriser leur développement et leur dynamisme économique.

Le dispositif pourrait offrir sur le long terme une garantie en capital, augmentée par 1 point de rentabilité annuelle. Il faut envisager une montée rapide en charge de ce fonds, suite à une décision dans un avenir proche. Il devrait atteindre 300 Mds€ en 2035 pour être en mesure de verser environ 10 Mds€ par an à compter de 2035 aux futurs retraités. A plus long terme, l’objectif visé pourrait être de compenser au moins la moitié de la baisse à venir des pensions par rapport aux actifs.

 

Annexe 1 : Tableau d’équilibre des comptes en 2030

Besoins de financement en 2030
Déficit estimé par le COR 13 Mds€
Abaissement de l’âge d’obtention de l’ASPA 2 Mds€
Introduction de 4 critères de pénibilité supplémentaires 1 Mds€
Total 16 Mds€
Recettes supplémentaires en 2030
Priorité aux annuités 10,8 Mds€
Contribution des retraités « aisés » 2,5 Mds€
Augmentation des taux d’activité des seniors en difficulté 3,5 Mds€
Total 16,8 Mds€

Annexe 2 : Tableau d’évolution des comptes 2025-2030

 

Année 2025 2026 2027 2028 2029 2030

Besoins de financement

Déficit estimé par le COR 6,5 Mds€ 9,8 Mds€ 9,8 Mds€ 9,8 Mds€ 11 Mds€ 13 Mds€
Introduction de 4 critères de pénibilité supplémentaires 0,5 Mds€ 1 Mds€ 1 Mds€ 1 Mds€ 1 Mds€
Abaissement de l’âge d’obtention de l’ASPA 0,5 Mds€ 1 Mds€ 1,5 Mds€ 2 Mds€ 2 Mds€
Besoin de financement 6,5 Mds€ 10,8 Mds€ 11,8 Mds€ 12,3 Mds€ 12,8 Mds€ 16 Mds€

Recettes supplémentaires

Priorités aux annuités

Pension économisées 2,7 Mds€ 5,1 Mds€ 6,7 Mds€
Recettes d’activité 1,4 Mds€ 2,7 Mds€ 4,1 Mds€
Contribution des retraités « aisés »
Recettes supplémentaires 2,5 Mds€ 2,5 Mds€ 2,5 Mds€ 2,5 Mds€ 2,5 Mds€

Augmentation du taux d’activité des seniors en difficulté

Recettes d’activité 0,6 Mds€ 1,2 Mds€ 1,8 Mds€ 2,3 Mds€ 3,5 Mds€
Recettes supplémentaires   3,1 Mds€ 3,7 Mds€ 8,4 Mds€ 12,6 Mds€ 16,8 Mds€

Evolution des comptes

Evolution des comptes -6,5 Mds€ -7,7 Mds€ -8,1 Mds€ -3,9 Mds€ -0,2 Mds€ 0,8 Mds€

 

 

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