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La transition démographique est déstabilisante sur le plan social – La Croix
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Le 21 juin 2024 par Alain Villemeur
Le premier tour des élections législatives se tiendra le 30 juin. Pour l’économiste Alain Villemeur, également directeur scientifique de la chaire « transition démographique, transition économique », le vieillissement de la population a des effets sur les équilibres sociaux et peut alimenter des conflits entre générations.
Alain Villemeur: La transition démographique que nous vivons est un phénomène majeur, qui est pourtant en grande partie absent du débat public. Nous vivons de plus en plus longtemps, ce qui est une bonne nouvelle. La part des personnes âgées de plus de 65 ans représente actuellement 22 % de la population. Ce sera 27 % en 2040. Nous parlons là de plusieurs millions de personnes, c’est un fait massif.
Là encore, nous parlons de millions de personnes qui ont besoin de soins supplémentaires ou dont la dépendance doit être prise en charge si elle se présente. La transition démographique engendre des coûts élevés – que ce soit pour les retraites, les soins de santé ou la prise en charge de la dépendance. Elle est de ce fait déstabilisante sur le plan social.
Les Français se plaignent d’une dégradation des services publics, qui alimente en partie le vote en faveur du Rassemblement national, alors même que les dépenses publiques augmentent et que les déficits se creusent. Est-ce lié aux coûts engendrés par le vieillissement de la population ?
A. V. : Pour financer les dépenses supplémentaires de protection sociale nécessaires, il faut trouver des ressources à hauteur de 10 milliards d’euros de plus par an. C’est un véritable défi.
La moitié environ du déficit public actuel de la France est due aux déficits sociaux – retraites et dépenses de santé – et donc grossièrement aux problèmes liés à l’augmentation de l’espérance de vie, qui, rappelons-le quand même, est une bonne chose ! Mais il est évident que le vieillissement de la population, qui se manifeste de manière importante dans les comptes publics depuis une vingtaine d’années, réduit les marges de manœuvre financières pour financer d’autres priorités.
Il induit aussi la nécessité de travailler davantage et donc de réformer les retraites. Ce qui n’est pas sans susciter colère et crispations.
Justement, la forte opposition à la réforme des retraites adoptée en 2023 s’est-elle traduite dans les votes ?
A. V. : Cela me paraît évident. Il suffit de lire les programmes présentés pour les élections législatives à venir : à la fois le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national promettent de revenir sur cette réforme, ce n’est pas un hasard. La décision de reporter progressivement l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans a été vécue comme injuste par une partie de la population qui travaille dur et et qui n’est pas en bonne santé.
Nous l’avons dit, à 65 ans, l’espérance de vie moyenne en bonne santé est de dix ans. Il s’agit d’une moyenne qui est vraie pour une majorité de personnes. Mais on estime que 30 à 40 % des personnes entre 62 et 65 ans souffrent de problèmes de santé et n’envisagent pas du tout de continuer à travailler.
Ceci dit, il faudra travailler plus longtemps et d’autres réformes seront nécessaires car la population vieillit et qu’il faudra bien trouver le moyen de financer ces coûts supplémentaires. L’enjeu est de rendre ces réformes acceptables par le corps social.
À la chaire, nous considérons par exemple qu’il est préférable de jouer sur la durée de cotisation plutôt que sur l’âge minimum légal pour que ces réformes soient mieux acceptées. La France a aussi de la marge pour améliorer le taux d’emploi des seniors, qui est inférieur à la moyenne européenne. Seuls 57 % des 55-65 ans sont en emploi en France, contre 73 % en Allemagne et 82 % en Suède.
Les entreprises vont devoir faire un effort pour garder en emploi les seniors qui ont une expérience et une valeur ajoutée importante. C’est une source de richesse qui permet de financer les dépenses supplémentaires de protection sociale. Il n’y a aucune raison que la France fasse exception sur ce point.
Dans le même temps, la natalité, elle, est en baisse…
A. V. : La population vieillit en effet par le haut – l’augmentation de l’espérance de vie – et par le bas – la chute de la natalité. Le taux de fécondité a fluctué entre 1,8 et 2 enfants par femme jusqu’en 2010, où un pic a été atteint. Depuis, la chute est continue, pour atteindre 1,68 enfant par femme en 2023, ce qui est insuffisant pour assurer le renouvellement des générations.
Si l’on prolonge les tendances sans les exagérer, le taux de fécondité pourrait se réduire à 1,3 enfant par femme dans quinze ans, au niveau actuel de l’Italie et du Japon. Sans mesures volontaristes, le nombre de jeunes qui vont arriver sur le marché du travail va donc mécaniquement se réduire.
Alors qu’une partie de la population se crispe sur la question migratoire, le recours à l’immigration sera-t-il de ce fait incontournable ?
A. V. : Globalement en Europe, la population active ne croît que grâce à l’apport de l’immigration. La France qui a maintenu jusque-là un taux de fécondité plus élevé que la moyenne est dans une situation intermédiaire. Sa population active continue d’augmenter de manière naturelle de 50 000 personnes par an, ce qui reste cependant insuffisant pour répondre aux besoins de l’économie. Certaines professions – médecins, ingénieurs, aides-soignants – manquent cruellement. Ce problème va s’accentuer : d’après les démographes, si l’on suit les tendances actuelles, la population active va diminuer à partir de 2040.
Il y a trois leviers pour relever la barre : augmenter le nombre de seniors en emploi, relever la fécondité ou recourir à l’immigration. Il faudrait relever la fécondité grâce à des politiques familiales plus actives. Mais le résultat est incertain. La décision de faire ou non des enfants est multifactorielle. Entrent en ligne de compte le revenu, le coût de l’immobilier, la répartition des tâches ménagères au sein du couple… Toutes ces causes s’entremêlent et on ne sait trop quel levier actionner le plus efficacement. Le Japon a dépensé beaucoup d’argent dans des politiques familiales qui n’ont pas réussi à enrayer la chute de la fécondité.
Le recours à l’immigration de travail en est rendu d’autant plus nécessaire, on ne pourra pas s’en passer. Élue sur un discours anti-migrants, la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni a fini par s’y résoudre en accordant des quotas d’immigration.
Les retraités sont de plus en plus nombreux mais aussi, en moyenne, mieux lotis que les jeunes. Est-ce une source potentielle de tensions ?
A. V. : Au niveau des familles, la solidarité intergénérationnelle fonctionne bien, tout le monde peut le constater : dons de temps, d’argent, aide à l’éducation ou à la garde des enfants, soutien aux parents âgés… tout cela existe largement. Mais d’un point de vue plus « macro », il existe des sources importantes de conflits intergénérationnels larvés.
Globalement, le niveau de vie moyen des jeunes est inférieur à celui des retraités. Leur taux de pauvreté n’a pas cessé d’augmenter alors que celui des retraités baisse régulièrement. Actuellement, 20 % des jeunes de moins de 18 ans ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, c’est aussi le cas à hauteur de 19 % des jeunes de 18 à 29 ans. Celui des retraités de plus de 65 ans est deux fois plus faible.
Autre indicateur : le revenu moyen des jeunes de 25 ans était supérieur de 10 % à la moyenne des revenus il y a cinquante ans, il est désormais inférieur de 10 % à cette moyenne.
La situation des personnes de moins de 30 ans est réellement préoccupante. Elles subissent un taux de chômage élevé – même si la réforme de l’apprentissage a été très bénéfique – et sont confrontées à la difficulté à se loger, quand 70 % des seniors sont propriétaires de leur logement… et je ne parle même pas des angoisses liées au dérèglement climatique.
Le fait de se sentir « sacrifiés » par rapport aux générations précédentes peut alimenter la distance entre les jeunes et la sphère publique – avec l’abstention pour symptôme – et abîmer la solidarité entre générations. Certains pourraient avoir la tentation de contourner le paiement des cotisations sociales – en recourant par exemple à des assurances privées – considérant qu’ils n’auront pas la chance de bénéficier à leur tour d’une retraite.
Les moyens consacrés à la jeunesse sont clairement insuffisants. Depuis le début des années 2000, les dépenses d’éducation par tête pour les moins de 25 ans ont ainsi progressé moins vite que le PIB par tête. L’insertion des jeunes sur le marché du travail devrait être une priorité et faire l’objet de financements massifs.
Comment faire pour financer les besoins d’une population plus âgée, sans sacrifier les plus jeunes ?
A. V. : Nous pensons qu’il faut mettre les seniors à contribution. Par exemple, nous ne pensons pas que la perte d’autonomie doive être financée par un impôt ou une cotisation supplémentaire qui toucherait tout le monde, y compris les jeunes. C’est aux seniors de la financer, par exemple via une assurance dépendance acquittée à partir de 45 ans.
L’intérêt bien compris des aînés est que les jeunes réussissent à s’intégrer dans le marché du travail pour que la solidarité intergénérationnelle fonctionne bien. Il serait donc bénéfique pour tout le monde qu’ils contribuent à financer davantage l’éducation et les programmes d’insertion.
Il existe différentes pistes : une augmentation de la CSG acquittée par les retraités les plus aisés. Ou encore une contribution sur le patrimoine. Actuellement, on hérite aux environs de la soixantaine, contre 45 ans en moyenne il y a cinquante ans. Il y a donc un effet cumulatif : le patrimoine des seniors est transmis… aux seniors ! Ces derniers ont un patrimoine immobilier considérable.
Un impôt sur les grandes fortunes immobilières pour financer l’éducation des jeunes aurait du sens. Le choc du vieillissement peut être surmonté, mais il suppose des réformes ambitieuses.
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