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Le pacte entre les générations est mort – Le Monde
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En 2030, 30 % de la population française aura plus de 60 ans. Les politiques publiques de retraite, de santé, mais aussi d’emploi, de dépenses publiques et de formation doivent être articulées autour de cette réalité, estiment Jean-Hervé Lorenzi, Alain Villemeur et Hélène Xuan, économistes de la chaire transitions démographiques, transitions économiques
La France fait face au plus grand défi démographique de son histoire : en 2030, 30 % de la population aura plus de 60 ans et un quinquagénaire sur trois deviendra centenaire. Au-delà des effets sur la viabilité de notre système de retraite, à nouveau évoqués par le ministre du travail, François Rebsamen, le 16 décembre, l’impact sur l’économie sera majeur.
Notre conviction est double. La première est que toute mesure de politique économique aujourd’hui doit être pensée et mise en œuvre au travers d’un prisme intergénérationnel. Comment imaginer que le financement du système de retraite, de la dépendance ou de la protection sociale puisse être assuré sans prendre en compte l’intérêt des jeunes générations ?
Notre seconde conviction est que le pacte intergénérationnel doit considérer comme indissociables cinq domaines : la retraite, la santé, le marché du travail, les flux financiers intergénérationnels privés et publics, ainsi que la formation. Comment inciter en effet un report progressif de l’âge de départ à la retraite sans largement repenser la formation au long de la vie ?
Le pacte intergénérationnel d’hier, amendé seulement à la marge sur son financement, est mort sans que personne s’en aperçoive. Ce déni explique tant de blocages et de frustrations chez les jeunes, qui se considèrent comme la « génération sacrifiée ».
Pourtant, l’analyse économique des transferts entre les générations ne révèle pas de creusement des inégalités. En parallèle des transferts de protection sociale, les solidarités privées, de nature essentiellement familiale, se développent et pèsent aujourd’hui 10 % du produit intérieur brut français. Petit à petit, les solidarités familiales viennent ainsi compenser ou même se substituer aux modèles traditionnels de solidarité nés après la seconde guerre mondiale.
Cependant, le report perpétuel des réductions de déficits, alimentant une dette sans cesse croissante, commence à peser sur les jeunes actifs qui voient leur contribution fiscale augmenter. Il y a des signes très forts d’une rupture de traitement entre les générations.
D’abord, avec un taux de chômage des 15-24 ans de 24 % en 2013, les jeunes sont devenus la variable d’ajustement en période de faible croissance. D’ailleurs, 17 % des 15-29 ans n’étaient ni à l’école, ni en emploi, ni en formation. Ensuite, le moteur de la mobilité sociale est en panne : l’origine sociale des enfants a un poids de plus en plus lourd dans les résultats scolaires.
Modèle favorable aux seniors
Enfin, une génération, celle des baby-boomers, est parvenue au sortir des « trente glorieuses » à capter une grande partie du patrimoine, à la conserver, et même à faire augmenter sa valeur. Entre 1992 et 2010, elle a crû de 25 % pour les baby-boomers, mais elle a baissé pour toutes les autres générations. En particulier, l’accès au logement et à la propriété est devenu de plus en plus difficile pour les jeunes, en raison de hausses des prix de l’immobilier et des bas salaires. En conclusion, l’équilibre de notre modèle social est désespérément favorable aux seniors.
Parmi bien d’autres, nous évoquerons ici cinq propositions pour refonder le modèle social français, afin qu’il soit plus équitable et plus bénéfique à l’économie française.
La première faiblesse de notre économie est celle de l’investissement. Le patrimoine doit donc être soit investi sur des actifs « risqués », soit transmis aux jeunes générations. Cela suppose de repenser entièrement la gestion du patrimoine financier ou immobilier, sa constitution et sa fiscalité. Dans cette perspective, il faut évidemment favoriser la constitution d’un complément de la retraite par capitalisation. Dans le contexte actuel de « surépargne » en immobilier et en assurance-vie, la réallocation de ces actifs vers des investissements productifs en serait une conséquence logique.
« Liquéfier » le patrimoine
De même, l’instauration de nouveaux dispositifs de viagers mutualisés est un moyen de « liquéfier » le patrimoine et de dynamiser la consommation des seniors de plus de 75 ans. Ce marché pourrait représenter plus de 5 milliards par an de nouveaux produits et services.
La retraite ne peut plus être le fardeau reporté sur les jeunes, qui s’interrogent même sur la pérennité du système. Un régime par points aurait l’avantage de leur redonner confiance car, indépendant des aléas de la croissance, il éviterait l’endettement continu aux dépens des jeunes générations.
Si le report de l’âge de départ à la retraite semble inéluctable, la France se caractérise encore par un taux d’emploi des seniors faible. Pour atteindre cet objectif, il est vraisemblable que c’est autour des 50 ans qu’il faut renforcer le dispositif de formation professionnelle, afin de donner les moyens de continuer à travailler jusqu’à l’âge de la retraite.
Enfin, pour inscrire durablement les jeunes générations sur le marché du travail, il faut envisager un contrat unique avec des droits progressifs. En effet, le rejet des contrats à durée déterminée par les jeunes ne tient pas tant à la précarité du contrat qu’à l’extrême difficulté, sans sécurité de l’emploi, à accéder à un logement ou à des loyers abordables. D’où la nécessité d’associer une politique du logement à celle de l’emploi.
Nous le croyons : la refondation du pacte intergénérationnel est une condition nécessaire et suffisante pour relancer l’économie française.
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