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« Une part des profits supérieure à 39-40 % dans la durée constitue une rente, qui pourrait être imposée » – Le Monde
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Le 19 mai 2024 par Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur
Les économistes Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur se déclarent, dans une tribune au « Monde », favorables à la taxation de certains « surprofits » et des rentes immobilières, à condition qu’elle finance l’investissement pour la transition.
Le groupe de travail composé de parlementaires de la majorité présidentielle et dirigé par Jean-René Cazeneuve, rapporteur général du budget, doit remettre d’ici au mois de juin au premier ministre ses pistes sur la « taxation des rentes », a priori sur les potentielles rentes des entreprises et des détenteurs d’avoirs immobiliers. Cette initiative nous paraît bienvenue, alors que la croissance est au plus bas et que les entreprises du CAC 40 battent des records de profits, notamment les énergéticiens taxés en 2023.
Cependant, deux écueils majeurs apparaissent : la définition de ces rentes, et l’utilisation de leur taxation. David Ricardo (1772-1823) est le premier économiste à avoir introduit, dès 1817, le concept de rentes foncières, en référence à la noblesse, qui ne créait pas de vraies richesses, au contraire des entrepreneurs.
Peu après, l’économiste Jean de Sismondi (1773-1842) considérait l’Etat comme légitime pour transformer une société de rentiers en une société d’entrepreneurs et d’investisseurs. Plus tard, Joseph Schumpeter (1883-1950) expliquait que l’entreprise qui innove en premier jouit d’un très important pouvoir de monopole, difficilement remis en question ensuite. Un surprofit est alors assuré, comme nous le montrent nombre d’entreprises du numérique, confortées par l’effet réseau, qui tend à rendre captifs les utilisateurs.
Depuis les années 1960, la part des profits dans la valeur ajoutée a irrésistiblement évolué à la hausse en tendance dans les économies avancées (Etats-Unis, Europe, Japon…), passant, en moyenne, de 31 % à 38 % du produit intérieur brut (PIB). Cette valeur a été de 33 % tout au long du XXe siècle dans le cas de l’économie américaine, alors une exceptionnelle machine à créer des emplois. Un optimum qui favorise en effet une croissance maximale de l’emploi sur le long terme.
Reconsidérer la définition des rentes d’entreprise
Une part des profits supérieure à 39-40 % dans la durée est donc de nature à constituer une rente, qui pourrait potentiellement être imposée. Une telle part, très supérieure à la valeur optimale de 33 %, est néfaste pour la création d’emplois, car elle diminue l’incitation à créer des emplois et affaiblit la demande.
Depuis la grande crise financière de 2008, des parts de profit d’environ 39-40 % sont associées à des stagnations économiques (Japon) ou à des dépressions économiques (Italie et Grèce) et, en même temps, à une chute des investissements et à une stagnation, voire une baisse, des salaires. Le « ruissellement » ne fonctionne nullement à ce niveau très élevé de profit.
Bien évidemment, une telle définition des rentes d’entreprise doit être revue, notamment pour les start-up et les PME-ETI qui peuvent connaître des parts de profit très élevées en lien avec une croissance très forte de leur chiffre d’affaires et avec des investissements en hausse.
L’état de la rente de situation générationnelle
Les « rentes immobilières », quant à elles, sont censées être déjà taxées par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), lorsque l’actif immobilier net dépasse 1,3 million d’euros, ce qui est le cas pour des ménages en moyenne de 70 ans. Le patrimoine immobilier est en effet surtout possédé par les retraités. Par le jeu de l’héritage, désormais autour de 60 ans, cette concentration du patrimoine s’accélère. En outre, les retraités ont un niveau de vie en moyenne légèrement supérieur (102 %) aux actifs, mais ils bénéficient d’un taux de CSG (8,3 %) inférieur à celui des actifs (9,2 %), sans vraie justification.
Y aurait-il alors une rente de situation générationnelle ? C’est bien le cas en moyenne, que ce soit à travers le patrimoine ou les revenus, mais il faut souligner que les inégalités entre retraités sont très fortes. Les retraités les plus modestes bénéficient d’ailleurs actuellement d’un taux encore plus réduit de CSG, ce qui paraît normal et doit donc être maintenu.
Une fois admis cette définition des rentes potentielles, se pose la question de l’opportunité de les taxer, et de l’utilisation de ces taxes. Les transitions en cours, qu’elles soient climatique, démographique ou numérique, réclament des investissements massifs. Aussi, le produit d’une taxation des rentes devrait être utilisé pour stimuler les investissements, et notamment réduire les risques pris, par exemple en aidant les PME-ETI ou les ménages à investir, ou encore en aidant le secteur immobilier.
Se diriger vers un capitalisme d’investissements
En d’autres termes, cette taxation des rentes ne devrait nullement servir à combler les déficits publics, mais à doper la future croissance économique. Les entreprises du CAC 40, avec des parts de profit en moyenne d’environ 44 % de la valeur ajoutée, méritent évidemment une attention particulière, car elles ont diminué leurs investissements au profit de la distribution de dividendes (67 milliards d’euros en 2023) et des rachats d’actions (30 milliards), des chiffres record en la matière.
C’est le contraire pour les PME-ETI, dont les faibles parts de profit évoluent en moyenne autour de 25-30 %, ce qui rend plus difficile le financement de leurs investissements. Ne faut-il pas alors taxer davantage les profits excessifs des grandes entreprises, notamment celles jouissant des effets de réseau, et en parallèle moins taxer les PME-ETI, afin que d’autres choix soient privilégiés, comme l’investissement, l’emploi ou encore les salaires ? De plus, les rachats d’actions ne sont-ils pas aussi constitutifs de rentes pour les actionnaires, sans véritables retombées économiques ?
Transformer les rentes excessives en investissements est des plus justifié dans cette période de transition, où il faut massivement investir. Le capitalisme actuel doit évoluer pour devenir un capitalisme d’investissement à l’origine d’un nouveau cercle vertueux où l’offre rencontre une demande dynamique, en adéquation avec les exigences des transitions en cours. Comme Jean de Sismondi le pensait il y a deux siècles, les pouvoirs publics apparaissent légitimes pour provoquer cette transformation dans l’intérêt du bien commun.
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