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« La croissance de l’emploi est maximale pour une répartition de deux tiers pour les salaires et d’un tiers pour les profits » – Le Monde
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Le 9 août 2023 par Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur
Pour répondre à la stagnation des économies des pays industrialisés et assurer une croissance plus riche en emploi, les deux économistes Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur s’efforcent de définir, dans une tribune au « Monde », la meilleure clé de répartition de la valeur entre capital et travail.
En 1817, l’économiste anglais David Ricardo (1772-1823) avait considéré que la répartition des revenus entre profits et salaires était le principal problème de l’économie politique. En réalité, Ricardo fut très marqué par Adam Smith (1723-1790) qui, dès 1776, a fait le constat que les Hollandais avaient de meilleurs salaires que les Anglais, alors que les profits de leurs entreprises étaient plus faibles ! De nos jours, on dirait que les profits ne ruissellent pas sur l’économie et qu’une répartition des revenus favorable aux salariés peut stimuler la croissance économique.
Ainsi, ces deux économistes, les pères du libéralisme économique, avaient des questionnements sur le partage salaire-profit que leurs successeurs ont oublié ! En effet, ces derniers se sont égarés pendant trop longtemps dans l’idée que les profits s’annuleraient avec la concurrence, ou qu’ils seraient illégitimes, ou enfin qu’ils dépendraient des rapports de force entre les classes sociales.
Deux cent six ans après, nous sommes convaincus de la nécessité de relever le défi de Ricardo et de comprendre les « lois » de la répartition des revenus dans les économies capitalistes contemporaines. C’est la première conclusion que nous tirons de l’observation des performances des économies avancées depuis plusieurs décennies.
L’économie américaine l’illustre de manière exemplaire. De 1875 à 2000, pendant une exceptionnelle période de prospérité, en tendance, la part du profit dans le revenu sur le long terme connaît une moyenne proche d’un tiers. Par exemple, elle est de 34,3 % de 1961 à 2000, associée à une croissance forte et régulière, en moyenne annuelle de 3,5 %. Depuis le tournant des années 2000, la part du profit n’a cessé de croître pour atteindre 39 % ces dernières années, tandis que la croissance économique était divisée par deux après la « grande récession » de 2008.
Nulle trace d’un effet de « ruissellement »
Le Japon a vu ses performances macroéconomiques se dégrader de manière continue depuis le krach boursier de 1991, avec une quasi-stagnation depuis 2008 ; là aussi, la part du profit bat tous les records et atteint jusqu’à 40 %. L’Italie, avec une part du profit d’au moins 39 % depuis les années 1990, sombre dans la dépression économique après 2008.
A l’évidence, dans les économies avancées du début du XXIe siècle, l’accroissement important de la part du profit est associé à un sévère ralentissement économique, voire à la stagnation, mais aussi au fléchissement des investissements. En définitive, on ne trouve nulle part trace d’un supposé effet de « ruissellement » sur les économies !
La répercussion sur l’emploi est en revanche très différente : ainsi lorsque la répartition est de deux tiers pour les salaires et d’un tiers pour les profits, il résulte alors de fortes créations d’emplois. Nous avons par conséquent tiré trois enseignements pour le long terme.
Selon le premier, la croissance de l’emploi est maximale pour une répartition de deux tiers pour les salaires et d’un tiers pour les profits. En effet, pour les entrepreneurs, il existe une incitation à créer des emplois lorsque la part des profits est inférieure à un tiers mais aussi une incitation à détruire des emplois dans le cas contraire.
Une hausse des inégalités sociales
Selon le deuxième enseignement, cette répartition est susceptible de générer une croissance durable et résiliente face aux chocs économiques qui ne manquent pas de se produire.
Selon le troisième enseignement, la hausse de la part du profit entrave la croissance de la production et de la productivité, tandis qu’elle renforce évidemment les inégalités sociales. Cet enseignement contredit tout effet supposé de ruissellement sur le long terme.
On comprend alors l’évolution de la répartition salaire-profit qui va de pair avec les profondes transformations économiques depuis le premier choc pétrolier de 1973.
A l’exception des Etats-Unis, où la répartition optimale continue à se maintenir jusqu’en 2000, les autres économies développées voient leur répartition avantager les profits durant les décennies suivantes, la répartition optimale étant généralement atteinte juste avant le tournant des années 2000. La hausse des profits va ensuite se poursuivre irrésistiblement et induire une croissance ralentie et évidemment une hausse des inégalités sociales.
La France suit cette évolution générale avec une part du profit se hissant de 27 % à 36 % jusqu’à la crise financière de 2008. Mais, contrairement aux autres pays, la part du profit régresse ensuite pour revenir à une répartition en apparence idéale. En réalité, derrière cette moyenne, se cachent de grandes disparités entre grandes et petites entreprises, notamment celles du CAC40, où la part du profit est très élevée, atteignant 44 %. Là aussi, on est loin de la répartition idéale.
Changement climatique et vieillissement de la population
Les transitions en cours, liées au changement climatique, au vieillissement de la population ou encore à la révolution numérique sont autant de défis, aggravés par la montée sans précédent des inégalités sociales. Il n’y a pas de solution durable dans l’endettement sans fin et les politiques monétaires non conventionnelles ont montré leurs limites et n’ont pas empêché la faible performance économique.
Nos trois leçons offrent une porte de sortie à cette stagnation préoccupante des économies avancées afin de retrouver une meilleure croissance, plus durable et mieux partagée. Il y a urgence, et la nécessité d’investir massivement dans de nombreux domaines, notamment pour surmonter le changement climatique ou le vieillissement de la population, doit inciter à revenir à des répartions plus favorables aux salariés.
L’investissement dans les nouvelles technologies en faveur d’une économie décarbonée doit se conjuguer avec une hausse des salaires permettant aux salariés d’acquérir les « biens verts » indispensables à la transition. La création de nouveaux emplois indispensables pour accompagner les nouvelles transitions sera aussi favorisée par une répartition salaire-profit plus équilibrée.
Et c’est là que la répartition salaire-profit de deux tiers-un tiers est sans nul doute la variable qui permet de stabiliser une croissance suffisante, durable et mieux partagée, de surmonter des difficultés liées aux transitions en cours et de développer les nouvelles technologies porteuses de gains de productivité.
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