La baisse de la natalité, expression des ruptures sociétales ? – Les Echos

Le 15 janvier 2025 par Jean-Hervé Lorenzi , Alain Villemeur et Kevin Genna

Les prix de l’immobilier, les inégalités hommes-femmes, l’éco-anxiété et le chômage font partie des raisons qui expliquent le taux de fécondité si bas en France. Face à ces racines sociales, Jean-Hervé Lorenzi, Alain Villemeur et Kevin Genna proposent des solutions.

 

Entre 2010 et 2022, en France, la fécondité a continuellement baissé dans l’indifférence quasi générale, tandis que notre modèle familial était toujours envié. Mais, en 2023, la fécondité est descendue à 1,68 enfant par femme, soit le taux le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale. Dès lors, a surgi l’interrogation préoccupante que l’on puisse rejoindre les taux italiens, à 1,2 enfant par femme, voire pire, ceux de la Corée du Sud et son 0,7 enfant par femme, ce qui remettrait en question la soutenabilité du modèle social français.

Un lieu commun voudrait que la natalité soit une histoire de femmes et de jeunesse, mais l’analyse des causes avancées révèle un problème de société : perte de pouvoir d’achat, hausse du prix de l’immobilier, inégalités persistantes entre hommes et femmes, perte de confiance dans l’avenir, retour de la guerre sur le sol européen, chômage, éco-anxiété, inadéquation des politiques familiales… Peu d’entre elles sont du ressort exclusif des femmes ou de la jeunesse !

Cinq facteurs

La Chaire universitaire Transitions Démographiques, Transitions Economiques a mené une étude approfondie pour tenter d’identifier les déterminants majeurs de la baisse de la natalité dans les pays de l’OCDE, avec des méthodes statistiques élaborées, en explorant depuis plus de vingt ans les liens entre la fécondité et les grandes variables économiques et sociologiques, que ce soit à court ou long terme.

Cinq déterminants en sont ressortis. L’intégration des femmes sur le marché du travail affecte positivement la fécondité mais leur montée en compétences accroît le coût d’opportunité d’avoir un enfant. La hausse des prix de l’immobilier favorise la fécondité des propriétaires, par un effet de richesse, mais pénalise les jeunes ménages locataires. Les politiques familiales sont importantes mais ont un effet limité, car investir 25 milliards d’euros en plus ne remonterait les taux de fécondité que de 0,1 enfant par femme. Le manque de confiance dans l’avenir affecte négativement la natalité et le chômage la réduit bien sûr conjoncturellement. L’inégal partage des tâches domestiques et d’éducation tend à diminuer la natalité tandis que l’insuffisance des modes de garde est un frein à la procréation.

Redonner confiance en l’avenir

Alors, que faire ? Inciter les jeunes femmes à procréer davantage en brandissant la nécessité d’un « réarmement démographique » est une solution contre-productive et inadaptée. La société dans son ensemble se doit de proposer une France qui inspire de nouveau confiance en l’avenir, au travers de trois chantiers prioritaires. En premier, il faut améliorer l’égalité entre les hommes et les femmes, que ce soit dans les carrières mais aussi dans les tâches domestiques. Ensuite, il faut faciliter la primo-accession des jeunes couples et l’accès à des logements moins coûteux et plus grands, car entre 2000 et 2020 un ménage avec des revenus médians a perdu 18 m2 de capacité d’achat, c’est-à-dire l’équivalent d’une chambre d’enfant ! Enfin, il est nécessaire de proposer des modes de garde de proximité, peu coûteux et de confiance pour la petite enfance.

 

Inciter les jeunes femmes à procréer davantage en brandissant la nécessité d’un ‘réarmement démographique’ est une solution contre-productive et inadaptée.

 

La baisse du nombre de naissances n’est pas inéluctable, mais il n’existe ni solution unique ni solution magique. On est bien confronté à des ruptures sociétales ! Aussi, les politiques dans ce domaine doivent résolument se préoccuper de l’avenir et du bien-être des jeunes générations sur de multiples dimensions.

Jean-Hervé Lorenzi est fondateur du Cercle des économistes, Alain Villemeur et Kevin Genna sont respectivement directeur scientifique et responsable modélisation de la Chaire Transitions Démographiques, Transitions Economiques.Jean-Hervé Lorenzi, Alain Villemeur et Kevin Genna

 

Le manque de confiance dans l’avenir affecte négativement la natalité et le chômage la réduit bien sûr conjoncturellement, estiment Jean-Hervé Lorenzi, Alain Villemeur et Kevin Genna.

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